20 juin 2011
CAFÉ CITOYEN : LA VIOLENCE VUE DES 2 RIVES DE LA MÉDITERRANÉE
Il est proposé aux participants d’exprimer en préalable leurs représentations initiales de la violence
Expression sur post-it : LA VIOLENCE POUR MOI C’EST QUAND…
Introduction
Mon propos :
Après une définition de ce que j’appelle violence, je présenterai des -témoignages de violences, constatées ou racontées sur chaque rive, que chacun regarde dans la direction de la sienne ou de celle de l’autre, ou encore qu’il regarde la violence qui traverse la mer!
Examen au passa ge de quelques pistes sinon pour l’éradiquer au moins pour la « traiter »
Remarques
Propos limité au monde de l’éducation, à l’Algérie et à la France
D’où je parle :
D’une expérience dans le monde de l’éducation( ici et là bas ) d’un travail d’animation sur l’éducation citoyenne et la prévention de la violence..
Là bas : 20 missions de la commission européenne-une de l’ambassade de France -une autofinancée en mai directement sur le thème avec un groupe de 8 français et autant d’algériens éducateurs à Ghardaia et Tipaza
Ici : Dans différents lieux (Hte Garonne, Isère, Lot, Ariège, Calédonie…) dans les établissements volontaires SEGPA-COLLEGES
Un mot sur l’action «Action citoyenne et prévention de la violence »
Voyage-Atelier: Option de travail à parité avec les algériens ( pas de néo-colonialisme!)
sur le thème de l’éducation citoyenne et de la prévention de la violence.
: Je proposais des dispositifsde communication ( atelier philo essentiellement mais aussi atelier d’analyse de pratiques, café citoyen, atelier-écoute avec grille de Porter) permettant d’échanger entre nous et bien sûr susceptibles d’être transposés avec des jeunes.Je proposais aussi des temps de témoignages partagés sur nos actions d’éducation citoyenne
But : Se donner les moyens de communiquer et de mettre en place déjà entre nous une culture de la paix : avec écoute de l’autre et respect, curiosité de sa différence, et expression personnelle libre sans complexe ni langue de bois.
DIFFICILE laboratoire!: conflits, blessures involontaires, refus de la frustration, procès d’intention, abus de pouvoir, refus de laisser sa place, désir de se tailler la place du lion, « café du commerce »… nous avons vécu et vivons cela tout le temps
Définitions
VIOLENCE : Force (déréglée) qui porte atteinte à l’intégrité physique ou psychique (de l’autre) pour mettre en cause dans un but (ou avec un effet) de destruction ou de domination l’humanitéde l’individu (D’après B Kriegel 2006)
Association :
Dans la violence l’autre est à détruire au profit illusoire du moi, qui fait sa loi sans limite
L’altérité est à supprimer ou à blesser gravement (humiliation), à réduire en esclavage, sous la toute puissance d’un sujet qui impose sa loi (individu ou communauté). Ex Jeu du regard
La violence est le risque de la vie… le regard de l’autre peut me tuer mais si je ne l’affronte pas je n’ai aucune chance d’exister comme homme. Cf Hegel : La lutte des consciences pour la reconnaissance
Distinctions :
(Violence à ne pas confondre avec le conflit : Dans le conflit il y a de la vie, de l’autre, un projet de vivre ensemble avec nos différences, de trouver si possible un compromis.
Agressivité = caractérisation psychologique de l’auteur de la violence répétée ou de l’acte violent-
Cruauté = caractérisation psychologique de l’auteur de la violence répétée, avec jouissance de faire souffrir
Agression = action contre un individu auquel on inflige un dommage (vol, blessure etc…),par usage de la force
Frustration= état de manque par rapport à un objet de désir- Frustrer n’est pas toujours violent.
On peut voir le problème à partir des oppositions t VIE-MORT MOI-L’AUTRE , MAÎTRE -ESCLAVE , RÉALITÉ ET INTERPRÉTATION- INDIVIDU-SOCIETE-.
De toutes façons la violence ce n’est pas que chez les autres, elle est aussi en nous, chaque fois que l’on écrase l’autre en le voulant ou sans le vouloir….
Elle est parfois nécessaire quand il faut arrêter la nuisance de quelqu’un ou d’un système…
Mais peut-on encore parler de violence quand il s’agit seulement de mettre hors d’ếtat de nuire ( et pas de détruire l’autre ou la possibilité d’un vivre ensemble) ou de renverser un ordre injuste pour permettre ou se permettre d’exister?
VIOLENCES VUES DES DEUX RIVES
Témoignages de violences et d’actions éducatives court terme-long terme
À Ghardaia
1-Lecture de la lettre d’un professeur
Le 1er octobre 2008, le jour de la fête de l’Aïd, juste après le mois de Ramadhan, des pluies torrentielles se sont abattues sur la vallée de Ghardaïa, provoquant une grande catastrophe. Idriss, un collégien de notre CEM, a perdu sa petite soeur, sa cousine et bien sûr l’oued a emporté sur son passage les 80% du domicile familial. Idriss fût blessé au pied droit qu’on a dû lui amputer. Il était en première année de collège. Sous le choc, il ne voulait plus revenir à l’école! Ce qui déstabilisa tous ses camarades.
– Un élan de solidarité s’est vite formé autour de lui: Cotisation pour achat de cadeaux, poèmes écrits par ses camarades, pièces de théâtre (dont l’objectif était de lui redonner de l’espoir de continuer sa vie).
Zohra prit l’initiative d’inviter le papa avec son fils, pour, soit disant, une fête à l’école.
– Idriss, ayant perdu toutes ses fournitures scolaires se trouva face à cette grande manifestation de générosité. Quelle fût grande sa joie en recevant son cadeau sublime: Un PC portable!
Depuis ce jour, Idriss grâce à tous, a retrouvé la joie de vivre, de communiquer C’est un enfant heureux!
Il décide de revenir, touché par cette manifestation d’amitié. et participe à un projet sur la préservation de la planète..
( Violence : la nature ? –mais surtout violence contre soi, nourrie de désespoir)
2- Confidence reçue par un éducateur
Un professeur reçoit une confidence d’une petite fille victime d’attouchements sexuels de la part d’un « éducateur »ayant autorité sur l’enfant
Il décide d’agir en protégeant l’enfant sans amplifier le problème ni le noyer dans un conflit de « communautés ».
( Violence : enfant victime, réduit à l’état d’objet de plaisir, pour satisfaire une pulsion d’adulte)-mal objectif-Moi et mon plaisir d’abord, on justifie ensuite qu’on « aime l’autre » par cadeaux.!!!..)
3- Une querelle entre membres de deux communautés dégénère en affrontement meurtrier et en partition du village. Un professeur joue les médiateurs
Ce que nous avons vu pendant le voyage:
Des caricatures montrant une difficulté entre 2 communautés Pour les uns « ils sont sales, ils enferment leurs femmes, ils sont hypocrites, ils ne pensent qu’à l’argent. »..Pour les autres : ( ils ont tous les pouvoirs, ils ne respectent rien, ils cherchent toujours à nous voler et à nous imposer leur façon de vivre…)
Un ami nous raconte son village
Histoire de Bériane 2008 ( voir annexe)
…Ils n’y avait jamais eu de problème grave entre eux jusqu’en 1990. Le premier mandat du multipartisme. Des jeunes ont voulu un changement et cracs !!! Opposition oblige, nouvel air politique !. L’ancien maire limogé,ses partisans ont voulu le remettre de force et voilà Berriane mis à feu et à sangs et les pêcheurs en eau trouble ont ajouté de leur huile et ils ont inventé un nouveau conflit qu’ils ont nommé « Ibadites contre Malékites » des rites religieux car c’était la mode à cette époque là. A l’échelon national c’était le « FIS » (un parti islamiste) qui surgi de nulle part revendiquait aussi sa légitimitéaux élections.
Le conflit a duré quelques mois avec deux ibadites morts(un père et son fils) à la clé, mais vite, tout le monde a compris que c’était une manipulation contre la pluralité politique.
La vie a repris de bon train jusqu’à cette fameuse date à double symbolique : Le 19 mars 2008.
Date anniversaire et commémorative du cesser le feu en Algérie après plus d’un siècle de colonisation française et aussi c’était la date anniversaire de la naissance du prophète « MOHAMMED » (sls). Une nuit qui a commencé et qui ne s’est jamais arrêtée.
Sur le pont qui sépare la ville en deux : entre l’ancienne cité et la nouvelle, des jeunes mozabites étaient en train de fêter le « Mouloud » à leur manière. Comme tout Algérien ils allumaient des pétards. Une famille de Malékite passa et voilà qu’un pétard tomba aux pieds d’une de ces passantes , il créa l’incident et le prétexte pour une colonisation à la manière française lors de l’incident de l’éventail de l’ambassadeur français et du Dey Algérien.
Pas plus de dix minutes plus tard, toute la ville s’embrasa
Un effet ping-pong s’est installé….. Si les grands on fini par se lasser, les petits n’en finissent pas, alors des agressions quotidiennes se sont déclarées chez les écoliers Mozabites qui allaient dans des écoles encore dans des quartiers arabes. Ils étaient perturbés dans leur scolarité et leurs examens .Ensuite les autorités scolaires ont fini par décider de séparer les élèves. Etant donné que la plupart des écoles étaient dans les quartiers Malékites alors il y eut un déséquilibre terrible….
Depuis, les élèves sont séparés, même si les enseignants sont mélangés .La vie normale a repris son cours mais l’habitat et les élèves sont de part et d’autre de la nationale « une ». Il y a certains sages qui disent :
« Le mur de BERLIN s’est effondré mais le mur de BERRIANE est engendré..
(Violence des manipulations économico-politiques, violence de la catégorisation, de l’enfermement dans une identité meurtrière (A Maalouf) : il n’est que mozabite, il n’est qu’arabe ou malékite…
C’est une sous humanité on a le droit de les tuer!..
Ex : Chrétiens massacrés au MoyenOrient-
Ex IciEn France en 68 : c’est un bourgeois fascho on peut le défenestrer-
Ex Palestinien en Israel) L’autre est à détruire pour qu’on reste entre soi-
B-En France
Lecture des post it ou d’extraits de « Mémoire de maîtres paroles d’élèves »( Librio)
Ce professeur m’a dégouté de la musique. Sa violence était verbale surtout, dans ces mots comme
« nul « , « lamentable « , « minable » qu’il nous projetait au visage, la bouche déformée par un rictus de
mépris. Ou encore des plaisanteries qu’il faisait à notre détriment. Il avait deux ou trois boucs
émissaires par classe et un chouchou avec lequel il plaisantait affectueusement. Moi, il m’appelait le
« péquenot » parce que mon père était paysan et les autres s’esclaffaient bassement avec lui… Je le
détestais en silence, et il devait le sentir … Tout compte fait, quand on met en mots ces blessures,
c’est de la violence ordinaire . Je l’écris pour tous ceux qui ont les mots de l’école gravés en eux :
des jugements de profs qu’ils ont pris comme des claques …pour tous ceux qui ne pourront pas
mettre ces douleurs en mots et qui gardent en eux cette violence qui les brise .
François, Mémoire de maîtres, paroles d’élèves, Librio
Violence adulte/enfant , abus de pouvoir
Lorsque j’étais petit, bien avant la seconde guerre mondiale,la récréation a toujours été vécue par
mon frère et moi comme…le retour à la loi de la jungle, et je peux même dire quelque chose qui a
probablement dominé toute ma vie : j’ai expérimenté là, dans la cour de récréatio, quand j’avais de 5
à 10 ans, une telle guerre, une telle violence que premièrement j’étais content de revenir en classe
lorsque la cloche sonnait, mais que deuxièmement, j’ai trouvé que dans la classe régnait la mêm
violence, à la différence près que dans la cour, je recevais des coups de poing, et que dans la classe,
comme j’étais le premier, c’est moi qui dominait.
Michel Serres, La violence à l’école, Syros 1992
Violence loi de la jungle
Je n’ai jamais entendu un professeur chahuté raconter ce qui se passe dans sa classe. Les histoires
de chahut sont toujours évoquées par ceux qui en ont été les témoins ou les acteurs, avec force rires,
comme de bons souvenirs de potaches, de simples plaisanteries innocentes, tandis que ceux qui en
ont été les victimes se taisent.Les images que je garde moi du chahut n’ont rien perdu de leur effroyable netteté, ni de leur insupportable violence. J’entends encore les …hurlements des élèves déchaînés…les boulettes de papier mâché qui s’écrasent contre le tableau, les ricanements venus de je ne sais où…Les mots que je parviens à dire d’une voix blanche, étranglée par la peur ne sont pas entendus, les menaces de punitions que je profère n’ont absolument aucun effet. Je suis désespérément seule,prisonnière sans aucun espoir d’évasion, attendant la mise à mort…
Chantal Cambronne-Desvignes, Le chahut, Ed le Bord de l’Eau, 2001
Violence institutionnelles ou d’élèves à profs-
Groupe et prof en danger etat de droit impossible en certains endroits!
Conclusion
Différences ? Contexte historique et politique différent, plus grande pregnance du religieux et du politico-culturel en Algérie, mais mêmes types de violence. Les problèmes ont tendance à se ressembler . Les enfants voient les mêmes émissions ( ex dessins animés japonais toute la journée), ils sont souvent « enfants-rois », ne vivent pas beaucoup de situations de parole structurante, de réflexion sur les manipulations par la pub et autres!)
Moins de violence à professeur là bas…
Mais le rapport à la frustration , à l’autre , et à la loi juste (bien commun) pose problème ici et làbas.
Action éducative possibles
- Apprendre aux enfants à s’écouter et à respecter l’autre, mais pas par la seule injonction : il est pertinent de créer des espaces de paroles (motivation) EXPERIENCE A FAIRE VIVRE
- Développer la solidarité et la co-recherche entre adultes éducateurs ( Analyses de pratique)
- Associer les enfants à l’élaboration de règles et les inviter à des actions de coopération
- Se comporter soi-même comme un être respectueux de l’autre, capable de lucidité et d’excuses, en recherche et bienveillant,( gardien de la loi juste sans quoi c’est le chaos dommageable pour tous
ANNEXE 1
Les représentations de la violence ( à partir de post-it écrits par les éducateurs)
Ex :Ici en SEGPA
La violence c’est pour moi quand il y a humiliation d’un être devant ou par le groupe, quand il ne peut plus y avoir apprentissage, quand je vois le destin d’un enfant dans l’attitude de ses parents, quand il y a orchestration d’actes destructeurs, racket d’un élève, quand l’administration se fait démagogue et renvoie un élève en classe avec un sentiment d’impunité, il n’y a plus de respect entre les personnes ni de règles…
Dans le voyage atelier
Ici :La violence c’est pour moi quand
Quelqu’un parle à ma place, quand je me sens humilié méprisé, quand le groupe contrarie mon désir de liberté, quand c’est la loi du plus fort, quand on m’associe à des actes que je réprouve.
Là bas : La violence c’est pour moi quand
Quand on réagit agressivement au lieu de se maîtriser, quand un être sans défense est frappé, quand une personne est dévalorisée, quand on veut me rendre esclave, quand on me quitte alors que je n’ai pas fini ma phrase!
ANNEXE 2
Rapport Kriegel 2006 . Conclusion
« Des émissions de promotion d’une culture de respect d’autrui et de dépassement la violence doivent être diffusées sous la responsabilité des chaînes et doivent faire partie de leur cahier des charges;
- des émissions éducatives de ce type, diffusées en priorité dans les tranches horaires des programmes pour la jeunesse, en particulier par les chaînes publiques;
- un programme éducatif à l’apprentissage de la lecture critique de l’image doit être élaboré conjointement par des éducateurs et des réalisateurs. «